Il existe, blottie entre les collines boisées de l’arrière-pays varois et la frénésie iodée du littoral méditerranéen, une entaille de calcaire au nom presque chantant – les Gorges d’Ollioules. Un lieu où l’on entend davantage le cri du faucon pèlerin que le cliquetis des tasses en terrasse, et où la nature, souveraine, s’amuse à se lover entre falaises déchiquetées, végétation dense et rivière vagabonde.
Ollioules, vous dites ? Pour beaucoup, cela évoque une simple sortie d’autoroute entre Toulon et Bandol. Mais pour l’œil curieux et le cœur un peu bohème, c’est un territoire de contrastes, suspendu entre sauvegarde d’un patrimoine naturel d’exception et murmures d’un passé troglodyte fascinant. J’y ai laissé quelques gouttes de sueur… et beaucoup de poésie.
Un canyon provençal, entre ciel et pierre
Les Gorges d’Ollioules ne cherchent pas à impressionner par la taille. Elles n’ont ni la grandeur du Verdon ni les airs dramatiques d’une vallée alpine. Et pourtant, elles possèdent cette étrange capacité à vous happer. Peut-être est-ce la lumière qui y joue constamment à cache-cache, révélant les feuilles argentées des oliviers et les reflets jade de la Reppe – cette petite rivière, que même les GPS peinent à prononcer convenablement.
Ici, la roche calcaire sculptée par l’eau offre un tableau brut, vertical – un corridor minéral que l’on serpente à pied, en VTT ou même, pour les plus téméraires, suspendu à une paroi avec une corde et quelques mousquetons pour seule foi. Le site est très prisé des grimpeurs, notamment pour sa via cordata, une variante provençale de la via ferrata, offrant vertige et panoramas en haute définition.
Cheminer entre histoire et nature sauvage
Avant d’être un rendez-vous de sportifs aux mollets saillants, les Gorges d’Ollioules furent un véritable nœud stratégique… et presque mystique. Taillées dans la roche depuis des millénaires, elles servaient de passage naturel entre le littoral et les terres intérieures. Bandits, moines, marchands de sel… tous y laissèrent des traces, parfois visibles, souvent devinées.
Quelques ruines romaines s’égrènent çà et là, comme l’aqueduc de la Reppe, vestige d’un temps où même les ingénieurs avaient le goût du sublime. Plus loin, la chapelle Notre-Dame de Bon-Voyage fait office de halte spirituelle, perchée au-dessus du chaos rocheux, gardienne paisible des voyageurs de l’ancien temps… et des randonneurs essoufflés du week-end.
Randonnées et itinéraires : marcher hors des sentiers battus
Ma première incursion dans les gorges s’est faite en automne, ce moment de l’année où la Provence semble contenir chaque nuance d’ocre et de rouille. J’ai opté pour le sentier panoramique qui relie le quartier du Destel à la vieille ville d’Ollioules. Une randonnée d’environ 7 km, pas trop technique, mais avec quelques passages qui chatouillent les mollets.
Quelques conseils pour savourer la balade :
- Prévoyez de bonnes chaussures : certaines portions sont caillouteuses et glissantes, notamment près de la rivière.
- Apportez votre gourde : il n’y a pas de point d’eau dans les gorges, et l’été peut être brutal.
- Surveillez la météo : bien que rarement capricieuse dans le Var, une averse peut rendre le site difficilement praticable.
Le clou du spectacle ? Ce moment où, après un passage étroit bordé de falaises, la vue s’ouvre d’un coup sur une trouée naturelle, révélant les toits d’Ollioules en contrebas… et le soupçon salé de la mer Méditerranée à l’horizon.
Ollioules, l’autre Provence
Souvent éclipsée par ses illustres voisines – Hyères, Sanary ou Cassis – la ville d’Ollioules mérite pourtant son heure de gloire. Après l’effort, pourquoi ne pas s’y attarder ? Derrière ses ruelles serrées et ses volets délavés se cache une douceur provençale sincère. Une commune qui ne joue pas la carte du village-musée, mais qui vit encore au rythme des marchés, des cigales (bien sûr) et… des artisans.
Oui, Ollioules est aussi connue pour sa tradition d’artisanat d’art : ferronnerie, poterie, sculpture sur bois. Il n’est pas rare de tomber sur un atelier ouvert, où une main ridée façonne encore des objets faits pour durer – un antidote au syndrome Ikea, en somme. Une halte chez le sculpteur sylvestre de la rue Gambetta m’a offert un café et un récit d’enfance en prime. Magique.
La Reppe, une rivière timide mais essentielle
On l’aperçoit à peine depuis la route nationale, coincée entre deux blocs de pierre, mais la Reppe est le cœur battant des gorges. Cette petite rivière, longue de seulement 22 km, a pourtant creusé dans la montagne des siècles durant, sculptant patiemment ce canyon miniature. En été, elle se transforme souvent en ruisseau, mais si vous avez la chance de la voir en hiver, elle bruisse de promesses et de fraîcheur retrouvée.
Je m’y suis assis un matin, les pieds dans l’eau glacée, entouré de mousse et de silence – un vrai silence, pas celui trafiqué par les applis de méditation. Un moment suspendu, émouvant dans sa simplicité. La Reppe ne paie pas de mine, mais elle offre à qui sait l’écouter une leçon d’humilité. Elle est l’âme liquide des gorges.
Entre aventure et contemplation : que faire aux Gorges ?
Que vous soyez féru d’adrénaline ou amateur de « slow travel », les gorges savent s’adapter à votre tempo. Voici quelques suggestions pour vivre l’expérience à votre manière :
- Pour les randonneurs : le sentier du Val d’Ardène serpente au nord des gorges et offre une belle boucle champêtre entre falaises et plateaux.
- Pour les grimpeurs : la via cordata du Destel, récemment réaménagée, propose un itinéraire vertical accessible aux débutants mais spectaculaire.
- Pour les familles : une balade facile le long de la route des gorges, avec plusieurs belvédères sécurisés pour admirer les falaises.
- Pour les contemplatifs : posez votre plaid à l’ombre d’un figuier sauvage et laissez-vous bercer par le murmure de la rivière.
Et pour les amateurs de géologie (ou simplement les curieux), n’hésitez pas à chercher les strates fossilisées sur les parois : les gorges sont une encyclopédie minérale à ciel ouvert.
Quand s’y rendre ? Le bon moment pour explorer
Si le site est accessible toute l’année, certaines saisons révèlent mieux ses charmes :
- Printemps : floraison généreuse, températures idéales et une faune très active – notamment les lézards verts, véritables danseurs du soleil.
- Automne : couleurs flamboyantes des feuillus et ambiance feutrée, où l’on croise plus de geais que de touristes.
- Été : attention à la chaleur, mais le matin tôt ou en fin de journée, la lumière rasante sublime les reliefs.
- Hiver : plus tranquille, presque désert, idéal pour ceux qui aiment marcher seuls avec leurs pensées (et un bonnet).
Petit flacon, grand voyage
Les Gorges d’Ollioules, c’est un peu comme un bon roman de poche ramassé sur une étagère oubliée : petites, discrètes, mais capables de vous embarquer loin, très loin. Loin du bruit, loin des clichés, loin du tourisme de masse qui digère les paysages à coups de selfie sticks.
C’est une parenthèse. Une respiration. Et une invitation à redécouvrir que la Provence, la vraie, celle des mystères et des silences, vit encore – entre deux parois calcaires, un figuier tordu, et une rivière que seuls les poètes semblent encore connaître de nom.