Saint-Tropez, douce illusion de Riviera, évoque instantanément la jet set, les yachts qui s’alignent comme des trophées en bord de quai, et les verres de rosé glacé sirotés sur la plage de Pampelonne. Pourtant, entre deux couchers de soleil instagrammés et des ruelles trop fréquentées en été, la vieille cité cache encore des secrets, des lieux que les cartes postales oublient. C’est à cette Saint-Tropez-là – plus intime, plus insolite – que je vous propose de vous aventurer, loin des foules et des clichés, au rythme lent des tropéziens qui n’ont jamais eu besoin de bracelets VIP pour se sentir chez eux.
Perdez-vous dans la Ponche au lever du jour
Avant que les premiers bus de touristes ne déversent leur flot de promeneurs place des Lices, enfilez vos espadrilles et partez explorer le quartier de la Ponche, cœur historique de Saint-Tropez. Là où jadis vivaient les pêcheurs et où les ruelles pavées s’entrelacent comme les lignes d’un vieux roman maritime, le silence matinal a cette aura presque contemplative. Les volets de bois grincent doucement sous la brise, et des chats – les vrais résidents de l’endroit – trônent sur les rebords de fenêtre.
Arrêtez-vous devant l’église Notre-Dame-de-l’Assomption : son clocher ocre et or face au ciel d’azur vous rappellera que Saint-Tropez, avant d’être une carte platine, fut un simple village méditerranéen, battu par le vent et forgé par la mer.
Un café à Sénéquier ? Non merci : direction un troquet oublié des guides
Pourquoi faire la queue pour un café hors de prix chez Sénéquier, quand on peut s’installer au Bar du Portail Neuf, petite enclave semi-cachée entre la vieille ville et la nouvelle marina ? Pas de coussins rouges, pas de paparazzi en embuscade. Juste une poignée d’habitués, une télévision qui diffuse le tiercé et un patron qui vous accueillera avec une moue bougonne mais sincère. Commandez un café allongé, regardez le monde tourner tranquillement, et écoutez les anecdotes échappées d’une conversation entre deux anciens marins. On apprend plus ici en dix minutes qu’en deux heures de visite guidée.
Randonnée vers le cap Taillat, là où les jet-skis font demi-tour
À quelques encablures seulement de la frénésie tropézienne, s’étend une nature sauvage que peu d’instagrameurs osent explorer. Depuis la plage de l’Escalet, chaussez vos baskets et empruntez le sentier du littoral direction le cap Taillat. La randonnée, d’environ 5 kilomètres aller-retour, suit une côte déchiquetée, caressée par des criques d’une pureté quasi irréelle.
Un jour d’avril, j’y ai croisé une tortue d’Hermann au détour d’un bosquet de romarin sauvage. Aucune soirée sur un rooftop ne m’a jamais offert une émotion comparable. Le Cap Taillat, c’est la Méditerranée brute, une onde turquoise que l’on contemple assis entre deux rochers, avec du sable dans les chaussures et une paix intérieure que l’on croyait réservée aux ermites.
Découvrez l’atelier de l’artiste Guy Thouvignon
Non, tous les artistes de Saint-Tropez ne peignent pas des voiliers devant des couchers de soleil. Guy Thouvignon, sculpteur et peintre tropézien, travaille dans un atelier à l’écart du centre, discret mais ouvert aux curieux. Véritable alchimiste des matières, il crée à partir de bois flotté, de métal oxydé ou de filets retrouvés dans les calanques. Son œuvre raconte une autre histoire du littoral, une poésie née du recyclage et de la mémoire marine.
Je me souviens d’une averse d’octobre devant sa porte entrouverte. À l’intérieur, le cliquetis de ses outils rythmait le temps, et il m’a parlé de la mer comme d’une amante capricieuse. On repart de là avec une petite œuvre d’art ou simplement avec des étincelles dans les yeux.
Plongez dans les archives oubliées du Musée de l’Annonciade
Certes, le Musée de l’Annonciade figure sur certains guides touristiques. Mais trop peu savent que ce petit bijou abrite une collection d’art moderne parmi les plus étonnantes de la région : Matisse, Signac, Derain… Les impressionnistes tropéziens, tombés sous le charme de la lumière si particulière du golfe. L’astuce ? Y aller hors saison, en semaine, à l’ouverture.
Vous serez peut-être seul sous les toiles. Cette solitude vous permettra de vraiment appréhender ce que le rivage a inspiré à ces peintres. Et puis, l’atmosphère feutrée vous donnera cette impression enivrante d’avoir privatisé un musée sans même sortir votre American Express.
Un pique-nique champêtre au domaine viticole de la Giscle
Plutôt que de surpayer une salade de quinoa en terrasse dans le port, pourquoi ne pas vous organiser un pique-nique parmi les vignes ? À quelques kilomètres de Saint-Tropez, le domaine de la Giscle propose une expérience viticole totalement décontractée. Ici, on vous tend un panier garni de produits locaux et une nappe à carreaux, et il ne vous reste plus qu’à planter vos couverts dans un coin d’herbe entre deux ceps de grenache.
Le rosé y est sincère, le paysage authentique. Et parfois, si vous tendez l’oreille, vous pourrez entendre des cigales raconter l’hiver.
Assistez à une partie de boules authentique… en silence
La place des Lices regorge de parties de pétanque. Mais en été, tout y semble devenu spectacle, commentaire bavard et selfie en gilet fluo. Pour l’authenticité, cap à l’ombre des platanes du quartier Sainte-Anne ou vers Gassin, au petit boulodrome dissimulé derrière la mairie.
Ici, les boules roulent sans fioriture, les anciens se défient du regard, un pastis à la main, et vous pouvez rester planté là une heure entière, à tenter de saisir les arcanes de leurs gestes fléchés. Mieux qu’un spa de luxe pour déconnecter le mental.
La librairie oubliée où les mots sentent le sel
À deux pas du port, entre deux vitrines clinquantes, niche une toute petite librairie, souvent ignorée par les passants : Le Passé Simple. Il y flotte l’odeur du papier patiné, et les étagères plient sous des livres dénichés avec passion. Le propriétaire, figure discrète, saura vous recommander un polar local ou un essai sur les racines grecques du village. Certains ouvrages affichent des annotations à la main – petites pensées glissées comme des messages en bouteille à leurs futurs lecteurs.
On y reste une demi-heure… ou deux. On en ressort avec un bouquin sous le bras, et cette étrange sensation d’avoir touché du doigt l’âme lettrée de Saint-Tropez.
Une pizza boîte dans le port de Saint-Tropez : l’expérience paradoxale
Et si la façon la plus rebelle d’explorer Saint-Tropez était finalement d’acheter une pizza dans une boîte cartonnée, de s’asseoir sur les quais – les jambes pendant au-dessus de l’eau –, et de contempler les passants gourmet-diamants d’un œil amusé ?
Le contraste est saisissant. D’un côté, les flaques de lumière dans les coques lustrées des yachts, de l’autre, la simplicité d’une Margarita chaude sur les genoux, et peut-être le cri d’un goéland en guise de bande-son. C’est dans cette zone floue, entre luxe et quotidien, que se joue souvent la vraie poésie des lieux.
Et puis, se taire un peu
Oui, peut-être est-ce cela le véritable luxe à Saint-Tropez : savoir quand se taire. Laisser les autres courir vers les plages réservées et les salons VIP, pendant que vous, vous vous asseyez sur une digue, juste à la sortie du cimetière marin. Vous écoutez la mer qui lèche doucement le rivage et cette vieille embarcation qui grince sur ses amarres. À cet instant, il n’y a ni tourisme, ni folklore. Il n’y a que vous – et la Méditerranée en face.
Car en fin de compte, si Saint-Tropez se laisse encore apprivoiser, ce n’est qu’à ceux qui savent lever les yeux des vitrines, et s’avancer doucement dans ses marges.