Un souffle d’éternité entre pins et lavande
Dans l’échiquier sauvage des Alpes-de-Haute-Provence, à mi-chemin entre ciel et murmure de thym, se niche un petit village oublié par les guides touristiques, mais adoré par ceux qui préfèrent les silences habités aux foules trop bavardes : Baumugnes. Un nom qui chante comme une douce sonorité d’autrefois, et qui évoque tout de suite la Provence d’antan, celle où les cigales s’expriment plus fort que les moteurs et où le temps s’étire comme un morceau de nougat fondant sous le soleil.
Baumugnes, ce n’est pas seulement un décor pastoral tiré d’un roman de Giono — même si, à bien y regarder, chaque pierre, chaque herbe folle du village semble avoir été choisie par lui-même — c’est un monde à part, isolé, protégé, inattendu. Là-bas, on ne vient pas chercher la frénésie des stations de ski ou le tumulte des plages bondées. On vient respirer. Retrouver. Disparaître un peu, mais mieux se retrouver.
Un village confidentiel au charme absolu
Situé sur un pli des Hautes-Alpes, à quelques kilomètres de la vallée du Jabron, Baumugnes n’apparaît pas facilement sur les cartes modernes. C’est peut-être mieux ainsi. Ce village, minuscule — à peine une poignée d’âmes en hiver — résiste avec fierté à la tentation du superflu. Ici, rien de clinquant : des toitures rouge-fauve caressées par le vent, des murs de pierre éraflés par le temps, des volets écaillés qui chuchotent l’histoire de familles ancrées depuis des générations. Une ruralité pleinement assumée, presque revendiquée.
La place centrale, si l’on peut la nommer ainsi, est un simple espace aux allures de silence. On y trouve une fontaine de pierres, un banc en fer forgé, et une vue à couper le souffle sur les crêtes alpines. C’est là que les anciens discutent encore, à voix basse, comme pour ne pas effrayer les souvenirs encore présents dans le vent.
Des sentiers oubliés avec vue sur l’âme
Partir de Baumugnes, sac léger sur le dos et cœur ouvert aux surprises, c’est embrasser une épopée des sens. Loin des circuits balisés, les sentiers qui serpentent autour du village sont à peine indiqués. On suit les pas des chèvres, les courbes des ruisseaux, les traces d’un renard curieux. Et, soudain, au détour d’un vieux mûrier, une clairière s’ouvre sur l’infini.
Ici, les randonnées ne se mesurent pas en kilomètres, mais en frissons. L’un des chemins les plus enchanteurs vous mènera au col de Sumiou, un belvédère modeste mais bouleversant : à votre gauche, les falaises abritent des rapaces ; à votre droite, des prairies étendues qui ondulent sous le vent comme un océan vert. Et partout, cette lumière dorée typique de la Haute-Provence, celle qui donne aux paysages une allure presque italienne.
Une terre de récits, entre foin et ryhtmes anciens
Mon premier séjour à Baumugnes, je l’ai passé en octobre, invité par un ami berger — Maxence, un homme aux mains rugueuses mais au sourire enfantin. Il m’a raconté son enfance à suivre les troupeaux, les soirs passés au coin du feu à écouter son grand-père relater les traditions du col du Pigeonnier, autrefois passage inattendu des contrebandiers du cuir et… des amoureux clandestins.
Il m’a aussi initié à un rituel ancestral : la cueillette du serpolet sauvage au lever du soleil. Certains y croient encore — paraîtrait que le serpolet ramassé avant la rosée soigne même les chagrins d’amour (évidemment, j’en ai pris une poignée, au cas où).
Gastronomie forgée par la montagne
Être à Baumugnes, c’est aussi (et surtout) redécouvrir une cuisine de terroir qui n’a pas à rougir face aux restaurants étoilés. Elle n’est pas sophistiquée — elle est sincère, éminemment locale, enracinée. Les plats y racontent les saisons.
Si vous avez de la chance, vous tomberez sur le petit estaminet du village (ouvert les week-ends et… seulement si le patron est d’humeur). Là, vous goûterez sans doute :
- Une tartine de tome de brebis fondante avec un filet de miel de thym
- La fameuse tourte aux blettes de Simone, préparée à l’ancienne
- Un vin rouge local, rugueux au palais mais généreux dans l’âme
Ce n’est pas un dîner, c’est un poème de montagne en cinq bouchées.
Où dormir dans ce havre hors du temps ?
Dans un village qui compte moins d’une trentaine d’habitants, l’offre hôtelière, autant vous prévenir, est plus que restreinte. Mais c’est là toute la magie ! Deux gîtes sont disponibles (prévoyez de réserver longtemps à l’avance), et à quelques kilomètres, dans le hameau voisin de Saint-Vincent, on trouve deux chambres d’hôtes avec vue panoramique sur la vallée du Jabron.
L’un de mes coups de cœur : la « Maison de la Lauze », ancien corps de ferme réhabilité avec goût. La propriétaire, Jeanne, vous racontera des légendes locales pendant qu’elle vous sert une infusion de lavande du jardin. Les matins y sont brumeux, propices à écrire ou simplement regarder le monde se réveiller, lentement.
Un tourisme encore discret, à préserver
Baumugnes n’est pas encore tombé dans les griffes des plateformes de locations saisonnières. Le tourisme y est discret, presque timide, et tant mieux. Car il pose une autre question, plus fondamentale : comment voyager sans déranger ? Comment découvrir un lieu sans l’abîmer, ni l’observer comme un objet de musée ?
Ce village nous force, avec douceur, à revoir notre manière d’envisager le tourisme. Ici, on vient sans bruit, on écoute. On dérange le moins possible. Et on repart, changé.
Les moments idéaux pour s’y perdre
Le printemps, lorsqu’explosent coquelicots et bourraches dans les prés alentours, offre un visage particulièrement vibrant de Baumugnes. Les températures douces, les chemins fleuris et le retour des marchés dans les environs créent un cadre idéal.
L’automne, quant à lui, est d’une poésie inégalée. Les feuillages rougissent, les sols embaument la mousse humide, et le silence, alors, devient presque chantant. L’hiver, plus rude, est à réserver aux âmes aguerries… ou poètes en quête d’isolement absolu.
Quelques conseils précieux pour les curieux patients
- Transport : Pas de train ici. La voiture reste indispensable. Garez-vous à l’entrée pour éviter d’encombrer les ruelles minuscules.
- Respect : Ce n’est pas un décor, mais un lieu de vie. Parlez doucement, saluez les habitants, évitez les drones (oui, même si c’est « juste une photo »).
- Préparez-vous : Très peu de commerces ouverts en semaine. Apportez vos provisions. Et de préférence, quelques biscuits à partager avec le facteur qui fait sa tournée à pied !
Baumugnes ne s’offre pas. Il se dévoile lentement, à ceux qui savent regarder sans pressé. Un village comme un poème qu’on relit par fragments, le soir, quand le monde moderne devient trop bruyant. Venez, si vous voulez. Mais venez en marchant léger, et le cœur ouvert.