Il est des lieux qu’on aimerait garder pour soi. Des recoins cachés où la mer, les rochers et le silence forment une armistice contre le tumulte du monde. La Plage du Bau Rouge, lovée entre Toulon et La Garde, fait partie de ces secrets qu’on murmure aux oreilles des amis proches, mais jamais à la foule, jamais aux brochures. Je vous y emmène.
Un nom qui intrigue, une atmosphère qui captive
Le « Bau Rouge ». Trois syllabes qui claquent comme un accent provençal, un peu rocailleux, un peu salin. Le terme « bau » vient tout droit du patois provençal et signifie « rocher » ou « falaise ». Quant au « rouge », il fait référence à ces rochers teintés d’ocre, chauffés par le soleil jusqu’à devenir presque incandescents à l’heure où les cigales étouffent de chaleur. Ici, le rouge n’est pas qu’une couleur – c’est une chaleur, une senteur, une lumière.
Entre La Garde et Toulon, la côte se fait plus discrète. Loin des plages rectilignes bordées de restaurants à cocktails floraux, le Bau Rouge est une échappée technique. Vous n’y arriverez ni par GPS confiant, ni par chance. Il faut la chercher. Et comme souvent, ce qui se mérite en vaut la peine.
Comment trouver cette crique (presque) invisible
Si vous aimez les GPS précis au mètre près, laissez votre véhicule à la Rue Jean Aicard, côté La Garde, et continuez à pied. Le chemin passe par de petites ruelles qui serpentent entre les pins d’Alep, et vous demandera un peu de flair d’explorateur – ne vous découragez pas, suivez le murmure des vagues. Une fois passé le dernier mur de villa, vous verrez apparaître en contrebas un sentier escarpé. C’est là. Le Bau Rouge ne se livre qu’aux curieux.
Une baignade brute, sans filtres
Pas de sable fin ici. Le Bau Rouge, c’est le domaine des galets polis, des roches rugueuses et des criques minuscules. Un décor brut, taillé dans la côte comme un éclat de vérité dans une époque d’instants Instagram. L’eau y est d’une transparence insolente, variant du bleu céladon au turquoise électrique selon les heures du jour.
Vous nagerez ici sous le regard distant de goélands, sans musique, sans vendeurs de beignets, sans personne parfois. Mais c’est dans ce silence que le lieu offre sa vraie valeur : il vous invite à écouter. Le clapotis de la mer contre les pierres, le frémissement des embruns sur votre peau, et cette petite voix intérieure que tant de bruit dissimule habituellement.
Pourquoi cette plage reste méconnue
C’est un paradoxe : en pleine Côte d’Azur, le Bau Rouge n’est pas bondé. Pourquoi ? Une réponse simple : l’accès rebutera les adeptes du parasol-debout-sur-le-parking. Ici, pas de plage aménagée. Pas de douche. Pas de toilettes. Pas même une buvette qui vend de l’eau tiède à prix d’or.
Aucune infrastructure touristique ne vient polluer cette crique reculée. Et c’est là tout son charme. C’est un lieu qui n’a pas été domestiqué, un endroit qui résiste encore aux sirènes de la rentabilité estivale.
Le petit musée naturel que l’on foule du pied
Vous avez le pied marin ? Glissez vos palmes et votre masque : les fonds marins du Bau Rouge sont surprenants. Éponges jaunes, girelles multicolores, parfois un poulpe timide en embuscade. La roche rouge sert de toile de fond à ce petit monde qui grouille en silence. Peu profond, ce spot est parfait pour les amateurs de snorkeling.
Mais prudence : les rochers sont glissants, les vagues parfois rusées. On entre dans l’eau avec précaution, pour ne pas déranger le théâtre sous-marin. Car oui, chaque creux de roche ici est un microcosme, un décor vivant à analyste discret.
Anecdote salée : une leçon d’humilité
J’aime raconter cet après-midi où, alors que j’explorais seul les courbes de la roche, je rencontrai un vieux monsieur, bronzé façon truite fumée, qui s’était installé là, presque immobile, comme un gardien du lieu. Il fumait une pipe – étonnamment peu perturbée par le vent – et en me voyant m’équilibrer, maladroit, entre deux rochers, il me lança : « Si tu tombes ici, c’est pas les secouristes qui viennent, c’est les mouettes. »
Un rire aussi vieux que les bastides, puis le silence. Ce jour-là, j’ai compris deux choses : que le Bau Rouge était un sanctuaire, et qu’il valait mille précautions adultes plutôt qu’un seul plongeon irréfléchi.
Ce qu’il faut absolument savoir avant d’y aller
- Chaussures adaptées : ne venez pas en tongs, sauf si votre objectif est de glisser sur chaque roche comme dans un karaoké humide.
- Ne rien oublier dans la voiture : pas de commerces à proximité. Apportez eau, crème solaire, et pourquoi pas un petit en-cas rustique (le Bau Rouge ne tolère pas les chips industrielles, c’est bien connu).
- Respect du lieu : on ne laisse rien derrière. Pas question de transformer ce petit eden en poubelle post-baignade.
- Météo : évitez les jours de forte houle. Cette mer aussi belle que capricieuse peut rendre certains accès dangereux.
Y aller, et y revenir
Le Bau Rouge ne se consomme pas comme un spot à la mode sur une app de voyage. Il se découvre – un matin de juillet où la lumière semble bavarder avec la mer, ou un après-midi de septembre où les cigales se taisent enfin. Il se vit lentement. Peut-être même qu’il se comprend mieux seul, ou à deux, pas plus.
Et quand on en repart, une fine poussière rouge colle aux chevilles, un sel ancien nous picote encore les oreilles. Mais on emporte surtout avec soi quelque chose de bien plus rare : le sentiment d’avoir effleuré ce que la côte avait de plus vrai, de plus humble et de plus inaltéré.
Un dernier mot (sans prétention)
Alors, devais-je vraiment vous dévoiler ce secret ? Peut-être ai-je trahi un serment tacite entre explorateurs du littoral. Et pourtant, comme tous les lieux vivants, la Plage du Bau Rouge a besoin de visiteurs respectueux pour exister hors de l’oubli. Venez avec vos yeux grands ouverts, vos poches vides et votre cœur léger. Et souvenez-vous : chaque détour entre Toulon et La Garde peut être une aventure si on prend le temps de (se) perdre un peu.