Une parenthèse suspendue au-dessus de la baie des Anges
Parfois, il suffit de grimper une colline pour changer de perspective. Littéralement. C’est exactement ce qu’offre le chemin du Vinaigrier, un sentier secretement perché sur les hauteurs de Nice, loin de la cohue des plages, du tumulte du marché Saleya et des scooters qui se prennent pour des avions de chasse dans les ruelles du Vieux-Nice. Ici, le rythme ralentit, l’air se charge du parfum discret du pin d’Alep, et la Méditerranée devient lointaine, presque irréelle — une toile azur tendue entre ciel et mer.
Ce chemin, encore étonnamment peu connu des visiteurs éphémères mais prisé des Niçois initiés, est une bouffée d’air pur pour quiconque cherche un peu de hauteur et beaucoup de sens. Et croyez-moi, il en a à raconter, ce petit sentier sinueux : des histoires d’anciens domaines agricoles, de panoramas à couper le souffle et même… d’un vinaigrier oublié, devenu légende locale.
Un départ discret, presque conspirateur
Le chemin du Vinaigrier ne s’annonce pas en fanfare. Il se cherche, à la manière des secrets bien gardés que l’on ne livre qu’aux amis de confiance. Pour y accéder, il vous faudra prendre la route du Col de Villefranche depuis Nice, puis bifurquer vers l’Aire Saint-Michel. Quelques virages plus loin, un petit panneau en bois indique sobrement l’entrée du sentier, comme s’il vous murmurait à l’oreille : « Si tu es là, c’est que tu sais ». Poétique, mais un brin capricieux. Laisser une voiture garée peut être une épreuve de logique et de patience – les habitués optent souvent pour les transports en commun jusqu’à Saint-Michel ou Mont-Boron, puis finissent à pied. Après tout, la magie du lieu commence aussi par sa discrétion.
Un sentier suspendu entre mer et ciel
Dès les premiers pas, le bitume laisse place à la pierre, les toits rouges s’oublient, et c’est le silence qui gagne du terrain. Seuls le bruissement du vent dans les oliviers et le cri perçant d’une pie distraite ponctuent l’ascension. Le sentier serpente le long d’anciennes restanques, vestiges d’une activité agricole dont il ne subsiste aujourd’hui que les souvenirs égarés d’un monde tourné vers la terre.
Mais c’est en levant les yeux que la magie opère réellement : la Vue. Avec une majuscule. Une ampleur si vertigineuse qu’elle donnerait des ailes à un escargot : la mer d’un côté, d’un bleu presque affecté tant il est parfait, la courbe harmonieuse de la Baie des Anges, le port de Nice minuscule à vos pieds, et par temps clair, jusqu’à Antibes qui se dessine, insouciante, entre deux nuages. Et derrière vous, le Mont Boron veillant, massif et tranquille, comme un vieux sage faisant la sieste au soleil.
Quelques bancs esseulés, stratégiquement posés au bord du vide, invitent à s’y asseoir. Temps suspendu. On y croise parfois un joggeur, essoufflé mais ému, une grand-mère en ballerines (véritable leçon de style niçoise), ou un photographe embusqué, l’œil vissé à son téléobjectif comme un franc-tireur de beauté.
Un itinéraire accessible, mais qui se mérite
Le sentier du Vinaigrier est classé facile à intermédiaire, mais tout dépendra de votre humeur du jour… et de la météo. En été, évitez les heures les plus chaudes : ce sentier n’est pas avare en points de vue, mais il l’est en ombre. Préférez les départs matinaux ou en fin d’après-midi, quand la lumière rasante dore le maquis et pare les pierres d’un éclat presque sacré.
Comptez environ 1h30 à 2h pour une boucle complète si vous flânez — ce que vous ferez inévitablement, à moins d’être poursuivi par un sanglier philosophe (fort rare, mais sait-on jamais). L’itinéraire peut se prolonger vers le Mont Alban ou redescendre vers Villefranche-sur-Mer pour les plus curieux. Prévoyez :
- De bonnes chaussures (la balade n’est pas une fashion week, quoique…)
- De l’eau (les fontaines sont aussi rares que les touristes ici)
- Une casquette et des lunettes (et pourquoi pas le dernier Goncourt, si vous aimez lire vue sur mer)
L’esprit du lieu : entre mémoire rurale et élégance sauvage
Ce qui frappe, au-delà de sa beauté évidente, c’est l’âme du Vinaigrier. Il n’a pas l’arrogance des sentiers fréquentés, ni l’indifférence des lieux oubliés. Non, ici, tout respire une certaine forme d’élégance silencieuse. Les anciens murs en pierres sèches, les troncs torsadés des oliviers centenaires, les figuiers sauvages déjà gonflés de promesses : tout semble en place, dans cet équilibre fragile entre nature maîtrisée et abandon volontaire.
Le Vinaigrier doit son nom à une ancienne propriété agricole où l’on produisait, jadis, du raisin destiné à… devinez quoi ? Un vinaigre maison, réputé pour sa finesse. Le domaine fut racheté par la ville, et une partie est aujourd’hui protégée dans le cadre du Conservatoire du Littoral. Un bel exemple de reconversion douce, où tourisme et écologie avancent — pour une fois — main dans la main.
Quelques astuces pour les curieux (et les gourmands)
Si l’envie d’aller plus loin vous prend, quelques détours méritent le coup de mollet supplémentaire :
- La batterie du Mont-Boron : ancienne garnison militaire avec vue à 360°, un incontournable pour les amateurs d’histoire et de photos dramatiques façon « Game of Thrones, version méditerranéenne ».
- Une halte à Villefranche-sur-Mer : descendez jusqu’à la vieille ville, offrez-vous une socca mousseuse ou une glace aux figues, et laissez-vous bercer par le clapotis des barques.
- Les apéros improvisés : un morceau de pissaladière, une bouteille bien fraîche, quelques olives glanées (avec modération, les oliviers n’aiment pas qu’on les dépouille), et voilà une fin d’après-midi digne des épicuriens antiques.
Un lieu où contempler, sans consommer
Ce qui séduit, au fond, c’est que le Vinaigrier n’est pas une attraction : c’est un état d’esprit. On n’y vient pas pour cocher une case sur un guide ou pour publier une story aux filtres outranciers. On y vient pour regarder sans rien dire, pour écouter ce que le silence raconte. Pour respirer, s’oublier un peu, se souvenir que Nice, derrière ses façades baroques et ses magasins de luxe, est aussi une terre — une vraie, rugueuse, méditerranéenne, indomptée par endroits.
Et ce n’est pas rien, de nos jours. Dans un monde où l’on consomme les paysages comme des stories Instagram, retrouver un lieu qui exige un effort, qui offre peu mais donne tout, est un privilège rare.
Alors, la prochaine fois que vous êtes à Nice, que la Promenade des Anglais vous semble trop bien peignée et que les chaises bleues sont toutes occupées, souvenez-vous de ce sentier discret qui surplombe la ville. Grimpez. Marchez. Respirez. Et laissez la mer vous parler depuis les hauteurs du Vinaigrier.